Ass. Plèn., 28 juin 2024, n° 22-84.760 , publié au Bulletin et au Rapport
Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, l’article 1384, alinéa 4, du code civil disposait que le père et la mère, en tant qu’ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
Dans sa version issue de la loi précitée, qui pose le principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, ce texte, devenu l’article 1242, alinéa 4, du code civil, dispose que le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
Ce texte n’envisageant que la situation de l’enfant habitant avec ses deux parents, la jurisprudence a dû interpréter la notion de cohabitation lorsque les parents ne vivent pas ensemble.
La Cour de cassation juge à cet égard, avant comme après l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002, que cette condition de cohabitation n’est remplie qu’à l’égard du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant a été fixée par un juge (2e Civ., 20 janvier 2000, pourvoi n° 98-14.479, Bull. 2000, II, n° 14), de sorte que la responsabilité d’un dommage causé par son enfant mineur lui incombe entièrement quand bien même l’autre parent, bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, exerce conjointement l’autorité parentale (Crim., 6 novembre 2012, pourvoi n° 11-86.857, Bull. crim. 2012, n° 241) et que le fait dommageable de l’enfant a eu lieu pendant cet exercice.
Cette jurisprudence est de nature à susciter des difficultés dans les situations, de plus en plus fréquentes, où les enfants résident alternativement chez l’un et l’autre de leurs parents, ou encore celles où ces derniers conviennent du lieu de résidence des enfants sans saisir le juge.
Elle est critiquée par une large partie de la doctrine et, parfois, écartée par des juridictions du fond qui privilégient la seule condition de l’exercice conjoint de l’autorité parentale ou apprécient concrètement le lieu de résidence effectif de l’enfant au moment du dommage.
En outre, elle se concilie imparfaitement avec l’objectivation progressive de la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant mineur, qui permet notamment une meilleure indemnisation des victimes.
La Cour de cassation juge en effet que l’article 1384, alinéa 4, devenu l’article 1242, alinéa 4, du code civil, édicte une responsabilité de plein droit des père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux, dont seule la force majeure ou la faute de la victime peut les exonérer (2e Civ., 19 février 1997, pourvoi n° 94-21.111, Bull. 1997, II, n° 56).
Elle énonce également que cette responsabilité n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant (2e Civ., 10 mai 2001, pourvoi n° 99-11.287, Bull. 2001, II, n° 96), de sorte qu’il suffit, pour qu’elle soit engagée, qu’un dommage soit directement causé par son fait, même non fautif (Ass. plén., 13 décembre 2002, pourvoi n° 00-13.787, Bull. crim. 2002, Ass. plén., n° 3 ; Ass. plén., 13 décembre 2002, pourvoi n° 01-14.007, Bull. 2002, Ass. plén., n° 4).
Ainsi, les parents ne peuvent s’exonérer de cette responsabilité objective au seul motif qu’ils n’ont commis aucune faute, qu’elle soit de surveillance ou d’éducation.
Enfin, cette jurisprudence, qui décharge de sa responsabilité de plein droit le parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée, s’accorde également imparfaitement avec l’objectif de la loi du 4 mars 2002 de promouvoir le principe de la coparentalité.
Ce principe reflète, en droit interne, celui posé par l’article 18, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement, laquelle subsiste après la séparation du couple parental.
L’ensemble de ces considérations conduit la Cour à interpréter désormais la notion de cohabitation comme la conséquence de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, laquelle emporte pour chacun des parents un ensemble de droits et de devoirs, et à juger désormais que leur cohabitation avec un enfant mineur à l’égard duquel ils exercent conjointement l’autorité parentale ne cesse que lorsque des décisions administrative ou judiciaire confient ce mineur à un tiers.
Il en résulte que les deux parents, lorsqu’ils exercent conjointement l’autorité parentale à l’égard de leur enfant mineur, sont solidairement responsables des dommages causés par celui-ci dès lors que l’enfant n’a pas été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire.
Note :
L’assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l’assuré est civilement responsable en vertu de l’article 1242 du code civil, quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes (C. assur. L 121-2).
De plus, le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable (C. assur., L. 124.3).
Dès lors, chacun des parents séparés, et notamment celui chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée, devra veiller à bénéficier d’une couverture d’assurance responsabilité civile, notamment dans le cadre d’une police multirisques habitation, sachant que celle-ci n’a pas toujours un caractère obligatoire.
Enfin, les polices d’assurance souscrites par les parents n’ont pas de caractère cumulatif, dans la mesure où elle n’ont pas le même souscripteur. Dès lors, l’assureur qui aura été amené à régler la totalité du dommage au titre de sa garantie responsabilité civile, disposera d’un recours contre l’autre dans les conditions du droit commun.
Cette décision ne devrait donc avoir aucun impact sur la sinistralité ou l’augmentation des primes, puisqu’elle ne fait que répartir la charge d’une même réparation entre plusieurs assureurs.