Civ. 3e, 19 septembre 2024, n° 22-19.698, publié au Bulletin
En 2011, une société a fabriqué des steaks hachés qui ont dû être retirés du marché en raison d’un risque sanitaire, et son dirigeant a été condamné pénalement pour diverses infractions et à indemniser 16 victimes.
Bien qu’aucune réclamation n’ait encore été formée par les victimes à l’encontre de la société fabricante, celle-ci a assigné “à titre préventif” son assureur de responsabilité civile “Produits livrés” afin de l’entendre condamner à la relever et garantir de toute condamnation pécuniaire qui pourrait être mise à sa charge du fait de ces dommages.
L’article L. 124-1 du code des assurances dispose que, dans les assurances de responsabilité, l’assureur n’est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l’assuré par le tiers lésé et l’article L. 124-3, alinéa 2, du même code énonce que l’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré.
En l’espèce, l’assuré n’alléguait pas et, a fortiori, ne démontrait pas, avoir indemnisé une victime, ni même avoir fait l’objet, de la part d’une victime, d’une quelconque demande d’indemnisation en lien avec la crise sanitaire de juin 2011, de sorte que les préjudices sont, en l’état, simplement éventuels, donc futurs et incertains.
Note :
Il peut être tentant pour un assuré d’assigner préventivement son assureur à la suite d’un dommage pouvant engager sa responsabilité, et avant même d’avoir fait l’objet d’une réclamation de la part du tiers lésé, de manière à faire consacrer le principe de sa garantie. Cette initiative apparaît d’autant plus justifiée que la réclamation du tiers pourrait apparaître bien longtemps avant la manifestation du dommage, notamment corporel, alors que la police a été résiliée et au delà de la subséquente. (En effet, selon l’article 2226 du Code Civil : l’action en responsabilité née à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.)
Même si l’assuré paraît alors avoir un “intérêt légitime” à revendiquer le principe de la garantie de son assureur, ce n’est pas l’avis de la Cour de Cassation qui fait application du principe selon lequel le ” préjudice réparable ” doit être actuel et certain, ce qui n’est pas le cas d’une “éventuelle” réclamation d’un tiers.
On observera que ce n’est pas d’un préjudice que l’assuré demande réparation, mais la revendication d’un droit résultant du contrat d’assurance : celui d’être garanti en cas de réclamation éventuelle d’un tiers, à la suite d’un fait dommageable pouvant engager la responsabilité de l’assuré.
Lorsqu’une police a été souscrite en ” fait dommageable “, la garantie est acquise quelle que soit la date de la réclamation de la victime, en revanche le problème se pose dans les polices souscrites en ” base réclamation”, puisque si la garantie n’a pas été resouscrite au moment de la réclamation du tiers au delà de la période subséquente, aucune garantie d’assurance n’est acquise à l’ancien assuré.
En effet, selon l’article L 124-3,al. 4, du Code des assurances, ” la garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres “.
Toutefois, en l’espèce, il n’y avait pas sinistre au sens de l’article L 124-1-1 du Code des assurances, puisqu’il n’y avait pas réclamation… La solution aurait peut-être de susciter une telle réclamation en demandant à chaque victime si elle avait un préjudice à faire valoir, sachant que l’assureur peut stipuler qu’aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction, intervenues en dehors de lui, ne lui sont opposables (C. ass., art. L.124-2).
Mais il est vrai qu’un tel comportement de l’assuré, qui pourrait être interprété comme une reconnaissance de responsabilité, pourrait se retourner contre lui, notamment si les conditions de la garantie ne sont pas acquises ou si le montant celle-ci est insuffisante …