CA Toulouse, 4 juin 2024, RG n°21/01311
Cet arrêt est l’occasion de faire le point sur plusieurs questions posées à l’occasion d’un contrat portant sur l’installation d’un matériel frigorifique confiée à un sous-traitant. Elle valide out d’abord un rapport d’expertise judiciaire au motif qu’aucun grief n’était établi à son encontre.
Elle qualifie le contrat passé entre l’entreprise principale de contrat d’entreprise et non de contrat de vente, tout en écartant l’application des articles 1792 et suivants du Code civil, et retient la responsabilité partagée de l’entreprise principale et du sous-traitant.
Il appartient donc au juge d’apprécier au cas par cas la qualification d’ouvrage ou d’élément d’équipement au regard du revirement de jurisprudence de la cour de cassation du 21 mars 2024.
1. Sur le respect du contradictoire d’opérations d’expertise
En vertu des articles 233 et suivants du code de procédure civile, le technicien désigné doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée. A défaut, les actes effectués ne valent pas opérations d’expertise et la nullité du rapport peut être demandée en tout état de cause.
L’expert peut confier à un technicien spécialiste l’exécution d’investigations à caractère technique, sans manquer pour autant à son obligation de remplir personnellement sa mission.
L’intervention du sapiteur se fait sous la responsabilité de l’expert désigné et l’expert judiciaire n’a aucune obligation d’assister en personne à toutes les opérations menées par le sapiteur dès lors qu’il en vérifie le bon déroulement et que les conclusions du sapiteur , après leur présentation orale , ont été récapitulées dans une note antérieurement au dépôt du rapport d’expertise en sorte que les intimés ont eu tout loisir de les discuter en temps utile.
Aux termes de l’article 276 du code de procédure civile, l’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties et lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent. L’inobservation de ces formalités n’entraîne la nullité de l’expertise qu’à charge pour la partie qui l’invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.
L’absence de prise en considération par l’expert des observations des parties équivaut à une absence de réponse, ce qui ne constitue pas un grief seul susceptible d’entraîner la nullité du rapport.
2. Sur la distinction entre contrat d’entreprise et contrat de vente
La distinction entre un contrat d’entreprise comportant la fourniture de matériels et un contrat de vente doit être recherchée dans le point de savoir si la prestation porte sur la fourniture de produits fabriqués selon un processus spécifique, destiné à répondre aux besoins du donneur d’ordre, ou, au contraire, sur un produit standard, déterminé à l’avance par le fabricant, sans adaptation particulière.
En l’espèce, une entreprise principale a conclu deux contrats de sous-traitance pour la fourniture et la pose d’un ensemble de vitrines frigorifiques avec un sous-traitant.
Selon plusieurs devis, l’entreprise principale fournit les principaux équipements de l’ installation frigorifique (2 vitrines en froid positif et négatif , les compresseurs, les centrales, l’insonorisation renforcée, les automates de gestion, l’équipement des chambres froides…etc) dont les caractéristiques en termes de puissance absorbée, de tension et de dimension sont précisées, et le sous-traitant est chargé de la mise en place et des raccordements tout en fournissant un ensemble de fournitures et d’accessoires nécessaires à la pose desdits équipements (liaisons frigorifiques isolées et électriques, vannes à boisseau et filtres, brasure argent, PVC d40, amortisseur sous centrale, supports etc.). Par ailleurs il assure la mise en service, le réglage et la vérification du pompage sous vide, l’alimentation et la protection électrique au droit des groupes et vitrines ainsi que la dalle béton restant à la charge de l’entreprise principale.
Selon devis du sous-traitant, il est également chargée de la construction de chambres froides comprenant la fourniture et la pose de panneaux isothermes, de portes pivotantes isothermes, des parois et plafonds, d’une porte va-et-vient, de test au feu et d’un contrôle qualité, avec création d’une salle de préparation et de plonge.
Les vitrines frigorifiques ont été commandées par l’entreprise principale à divers fabricants..
Eu égard à la nature de la commande , il ne peut être sérieusement soutenu que le maître de l’ouvrage et l’entreprise étaient liés par un contrat de vente, les prestations commandées impliquant une analyse des besoins du maître de l’ouvrage avant de procéder à la commande des matériels ( chambre froide épicerie /chambre froide boucherie etc.) ,des travaux d’aménagement et une adaptation au local où les équipements et leurs liaisons électriques devaient être implantés.
Si les matériels commandés sont standards, par contre le travail est spécifique, destiné à un chantier déterminé et comporte un assemblage particulier pour correspondre aux besoins du donneur d’ordre.
La convention doit être qualifiée de contrat d’entreprise dès lors que la mission confiée à l’entreprise principale porte sur une prestation individualisée et les articles 1641 et suivants du Code civil n’ont pas vocation à s’appliquer.
La responsabilité contractuelle de l’entreprise principale est engagée sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil en cas d’inexécution de ses obligations, dès lors que le manquement est suffisamment grave, sans qu’il soit nécessairement fautif.
3. Inapplication des articles 1792 du Code Civil
C’est en vain qu’il est soutenu que la responsabilité des constructeurs telle que prévue par les articles 1792 et suivants du code civil est encourue au motif que l’installation litigieuse doit être qualifiée d’ouvrage au sens de ces textes compte tenu de son importance et de sa technicité, ce qui a parfois été retenu par la jurisprudence en matière d’installation frigorifique.
En l’espèce les désordres dont s’agit ne relèvent pas de la fonction construction du contrat mais de la conception des équipements de production de froid qui sont mal dimensionnés et des travaux d’installation qui ne sont pas conformes aux règles de l’art.
Il n’est relevé aucun désordre concernant les chambres froides et, à aucun moment, les travaux de construction, d’ancrage au sol ou de fondation ne sont mis en cause dans le cadre des opérations d’expertise.
Il n’est pas non plus démontré que l’installation frigorifique litigieuse, qui est destinée à équiper un commerce de proximité et non pas une installation industrielle de grande dimension revêt une ampleur particulière ou nécessite un savoir-faire et une technicité spécifique nécessitant l’intervention de spécialistes du bâtiment tels qu’un architecte ou des bureaux techniques.
Dès lors le régime de responsabilité de plein droit prévu par les articles 1792 et suivant du code civil ne trouve pas à s’appliquer.
4. Sur la responsabilité du sous-traitant
Le maître de l’ouvrage dispose d’une action directe à l’encontre du sous-traitant sur le fondement quasi-délictuel.
Par ailleurs l’entreprise principale dispose d’un recours à son encontre lorsque sa responsabilité est engagée .
Le sous-traitant est tenu, à l’égard de l’entrepreneur principal, d’une obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices dont il ne peut s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère.
En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise que les travaux confiés au sous-traitant ne sont pas conformes aux règles de l’art et doivent être repris ainsi qu’il a été détaillé plus haut.
Celui-ci a prétendu qu’il pouvait s’ exonérer de sa responsabilité en démontrant que les désordres résultent de la faute de l’entrepreneur principal ou d’une cause étrangère.
Il a soutenu qu’il avait réalisé la pose et le raccordement des vitrines réfrigérées ainsi que des tuyauteries et électrovannes conformément aux indications fournies par l’entreprise principale, qu’il n’a fait que se conformer à ses prescriptions et que ses travaux ont été acceptés sans réserve.
Il a produit un plan d’implantation portant le logo de l’entreprise principale qui définit l’emplacement de l’ensemble des réseaux installés ainsi que leur dimensionnement, ce qui tend à démontrer qu’il n’est pas à l’origine du choix du dimensionnement des tuyauteries.
L’exécution de travaux conformément audit plan, à supposer qu’il ait été fourni par l’entreprise principale, ce que cette dernière conteste, ne peut suffire à exonérer le sous-traitant de sa responsabilité car il lui incombe de livrer des travaux conformes aux règles de l’art.
Or des défauts de mise en œuvre ont été relevés par l’expert qui préconise de procéder au remplacement de l’ensemble des tuyauteries frigorifiques.
Enfin il n’est pas démontré que les sociétés qui sont intervenues sur l’installation frigorifique postérieurement à la réception des travaux ont eu un rôle causal quelconque dans la survenance du dommage alors que l’expert a pris soin d’écarter leur responsabilité de façon explicite.
Dès lors il y a lieu de rejeter les moyens de défense soulevés par le sous-traitant et de confirmer le jugement du tribunal de commerce qui l’a condamné à réparer l’entier dommage in solidum avec l’entrepreneur principal.
5. Sur la répartition des responsabilités :
Le tribunal de commerce avait partagé par moitié la responsabilité de l’entreprise principale et de son sous-traitant au motif que toutes les deux ayant contribué à l’entier dommage.
L’entreprise principale avait demandé quant à elle à être entièrement relevée et garantie par son sous-traitant.
La Cour estime que :
Il y a lieu de rejeter cette demande après avoir relevé que c’est cette entreprise principale qui avait commandé le matériel frigorifique après avoir défini la conception de l’installation et qu’elle avait accepté les travaux réalisés par son sous-traitant sans aucune réserve .
Si les deux entreprises ont contribué au dommage final, leur rôle causal peut cependant être distingué puisque seule une partie du marché de travaux a été sous traitée qui n’avait qu’une mission d’installation et de mise en service et n’a ni conçu l’installation ni défini la puissance des équipements par rapport aux besoins du donneur d’ordre.
Eu égard à ces éléments, la Cour d’appel a estimé qu’il y avait lieu de partager la charge finale de la réparation à proportion de 2/3 pour l’entreprise principale et de 1/3 pour le sous-traitant.