Civ. 3e, 21 mars 2024, n° 22-18.694, publié au Bulletin et au rapport
Aux termes de l’article 1792 du Code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.
Aux termes de l’article 1792-2 du même code, la présomption de responsabilité établie par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un bâtiment, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert. Un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.
Enfin, aux termes de l’article 1792-3 du code civil, les autres éléments d’équipement de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception.
Alors qu’il était jugé antérieurement, en application de ces textes, que l’impropriété à destination de l’ouvrage, provoquée par les dysfonctionnements d’un élément d’équipement adjoint à la construction existante, ne relevait pas de la garantie décennale des constructeurs, la Cour de cassation a jugé, depuis l’année 2017, que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relevaient de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640, publié au Bulletin ; Civ. 3e, 14 septembre 2017, n° 16-17.323), publié au Bulletin.
Elle a, également, écarté l’application de l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances, selon lequel les obligations d’assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles, lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur existant rendaient l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination (Civ. 3e, 26 octobre 2017, n° 16-18.120, publié au Bulletin).
Ce revirement de jurisprudence poursuivait, en premier lieu, un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l’élément d’équipement était d’origine ou seulement adjoint à l’existant, lorsque les dommages l’affectant rendaient l’ouvrage en lui-même impropre à sa destination.
Il visait, en second lieu, à assurer une meilleure protection des maîtres de l’ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d’amélioration de l’habitat existant.
Ces objectifs n’ont, toutefois, pas été atteints.
D’une part, la Cour de cassation a été conduite à préciser la portée de ces règles. Ainsi, il a été jugé que les désordres affectant un élément d’équipement adjoint à l’existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination ne relevaient de la responsabilité décennale des constructeurs que lorsqu’ils trouvaient leur siège dans un élément d’équipement au sens de l’article 1792-3 du code civil, c’est-à-dire un élément destiné à fonctionner (Civ. 3e, 13 juillet 2022, n° 19-20.231, publié au Bulletin).
La distinction ainsi établie a abouti à multiplier les qualifications attachées aux éléments d’équipement et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d’exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les éléments d’équipement d’origine.
D’autre part, il ressort des consultations entreprises auprès de plusieurs acteurs du secteur (France assureurs, Fédération nationale des travaux publics, Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, Fédération française du bâtiment, Institut national de la consommation) que les installateurs d’éléments d’équipement susceptibles de relever de la garantie décennale ne souscrivent pas plus qu’auparavant à l’assurance obligatoire des constructeurs.
La jurisprudence initiée en 2017 ne s’est donc pas traduite par une protection accrue des maîtres de l’ouvrage ou une meilleure indemnisation que celle dont ils pouvaient déjà bénéficier au titre d’autres garanties d’assurance.
C’est pourquoi il est apparu nécessaire à la Cour de Cassation de renoncer à cette jurisprudence et de juger que, si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.
La jurisprudence nouvelle s’applique aux instances en cours, dès lors qu’elle ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni au droit d’accès au juge.
En conséquence, et en l’espèce, lorsqu’un incendie est la conséquence de la pose d’un insert dans la cheminée d’une maison, occasionnant sa destruction ainsi que celle de l’intégralité des meubles et effets s’y trouvant, la responsabilité du poseur ne saurait être retenue sur le fondement de sa garantie décennale, mais uniquement sur le fondement de sa responsabilité contractuelle de droit commun de l’article 1231-1 du Code civil en cas de preuve de faute de sa part, responsabilité non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.
C’est donc à l’assureur de la responsabilité civile « après travaux » du poseur de prendre en charge l’indemnisation du sinistre, ce qui va soulager bon nombre d’entreprises qui ne disposaient pas d’assurance de responsabilité décennale, ne se considérant pas comme constructeurs. Par ailleurs, l’indemnisation des maîtres d’ouvrage victimes de dommages causés par des éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant sera ainsi mieux prise en charge par l’assurance de la responsabilité civile générale dont dispose en général leur prestataire.
Au terme d’une argumentation particulièrement structurée et raisonnée, la Cour de Cassation revient donc aux fondamentaux après avoir admis l’échec de son changement de jurisprudence antérieur.
Claude Devillard
Armelle Debuchy, avocats associés, Cabinet Perséa