Chambre Mixte – 21 Juillet 2023 – 21-15.809 – 21-19.936 – 20-10.763 – 21-17.789, publié au Bulletin
Le délai d’action pour vice caché de l’article 1648 du Code Civil est un délai de prescription et non de forclusion.
Le point de départ de la prescription des articles 2224 et L 110-4 se confond avec celui du délai pour agir de l’article 1648.
Délai butoir de 20 à compter de la vente.
Aux termes de l’article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.
L’article 1648 du code civil prévoit, en son premier alinéa, que l‘action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, sans préciser s’il s’agit d’un délai de prescription ou de forclusion.
La Cour de cassation l’a parfois qualifié de délai de forclusion (3e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-24.289 ; 3e Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-22.670), parfois de délai de prescription (1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 18-24.365 ; 1re Civ., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-10.824 ; 1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.070 ; Com., 28 juin 2017, pourvoi n° 15-29.013).
Ces hésitations étaient extrêmement dommageables à la sécurité juridique…
En effet, si l’article 2239 du Code Civil dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, il n’en est pas de même pour la forclusion, laquelle est soumise à un délai préfix au demeurant non défini par le code civil.
Si l’article 2219 précise que la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps, l’article 2220 dispose que les délais de forclusion ne sont en principe pas soumis aux règles concernant la prescription extinctive.
Dès lors, si le délai de prescription de l’action en garantie des vices cachés (2224 du Code Civil ou L 110-4 du Code de Commerce) et le délai de forclusion de l’article 1648 sont bien interrompus par une assignation en référé, seule la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une mesure d’expertise, en vertu de l’article 2239 du Code Civil.
Il en résultait une kirielle d’actions en responsabilité à l’encontre d’avocats qui n’avaient pas pris la précaution de suspendre également la forclusion en introduisant une action au fond dans le délai de deux ans après l’assignation en référé-expertise.
C’est ainsi, que la Cour de Cassation a fini par estimer que les exigences de la sécurité juridique imposaient de retenir une solution unique, et a distribué quatre affaires à la Chambre Mixte, dont les débats ont même été filmés, et qui a rendu ses arrêts le 21 Juillet 2023.
Dans le silence du texte, les Magistrats ont recherché la volonté du législateur et son objectif poursuivi de mettre l’acheteur en mesure d’agir contre le vendeur dans un délai susceptible d’interruption et de suspension.
Dès lors, la Chambre mixte a jugé que le délai biennal prévu à l’article 1648, alinéa 1er, du code civil est un délai de prescription (et non de forclusion), et peut donc être suspendu en vertu de l’article 2239 du Code Civil pendant toute la durée d’une mesure d’instruction ordonnée par un Juge.
Point de départ de la prescription identique pour 2224 et L 110-4 et délai butoir
La Chambre Mixte souligne que l’article 2224 du code civil fixe le point de départ de la prescription au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, le délai de prescription de l’article L. 110-4, I, du code de commerce étant harmonisé avec celui de l’article 2224 du code civil, mais sans en préciser le point de départ.
L’article 2232, alinéa premier, du code civil prévoit que le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit lequel constitue le délai-butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées (Ass. plén., 17 mai 2023, pourvoi n° 20-20.559, publié au Bulletin).
Par ailleurs, il a été jugé que le point de départ du délai de prescription de l’article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut que résulter du droit commun de l’article 2224 du code civil (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036 ; 3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-13.459 ; 1re Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.031 ; 2e Civ., 10 mars 2022, pourvoi n° 20-16.237 ; Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811, publié).
Il s’ensuit que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l’article 1648, alinéa premier, du code civil, à savoir la découverte du vice.
Il en résulte que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l’article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
Valeur d’une expertise amiable : Rappel
La Chambre Mixte a rappelé à cette occasion (21-15.809) que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties sans violer l’article 16 du code de procédure civile, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.