Par arrêt du 14 décembre 2022 (21-21305) la Troisième Chambre de la Cour de Cassation vient de modifier sa jurisprudence en ce qui concerne la prescription des actions récursoires d’un entrepreneur à l’encontre d’un sous-traitant.
Jusque-là, elle retenait, sur la base des articles 2224 du Code civil et de l’article L 110–4 du code de commerce, que le point de départ de la prescription se situait au moment où l’entrepreneur principal faisait l’objet d’une assignation en référé expertise de la part du maître de l’ouvrage, date à laquelle cet entrepreneur avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action récursoire.
Elle estime désormais, aux termes d’une motivation détaillée, que cette règle obligeait les constructeurs, dans certains cas, à introduire un recours en garantie contre d’autres intervenants avant même d’avoir été assigné en paiement par le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, dans le seul but d’interrompre la prescription.
En effet, explique-t-elle, même lorsqu’ils ont interrompu la prescription en formant eux-mêmes une demande d’expertise contre les autres intervenants à l’opération de construction, le délai de cinq ans qui, après la suspension prévue par l’article 2239 du Code civil, recommence à courir à compter du jour où la mesure d’expertise a été exécutée, peut expirer avant le délai de 10 ans courant à compter de la désignation de l’expert, pendant lequel le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage peuvent agir en réparation de leur préjudice.
De sorte que la multiplication de ces recours préventifs, qui nuit à une bonne administration de la justice, conduit la cour à modifier sa jurisprudence…
Visant l’article 2219 du Code civil, elle retient que la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.
Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction de ses demandes principales.
Dès lors, l’assignation, si elle n’est pas accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l’action du constructeur tendant à être garanti de condamnation en nature ou par équivalent ou obtenir le remboursement des sommes mises à sa charge en vertu de condamnation ultérieure.
Le point de départ de la prescription extinctive doit donc être fixé à la date à laquelle le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage forme une demande au fond aux fins d’indemnisation de ses préjudices, ce qui est notamment le cas d’une requête adressée à la juridiction administrative.
Les choses se sont maintenant claires pour la troisième chambre.
Elles ne réjouiront pas nécessairement les assureurs des sous-traitants qui se voient exposés ainsi pendant des années au recours de leur donneur d’ordre.
Néanmoins, l’entrepreneur principal devra rester prudent, notamment si une demande de provision est formulée à son encontre dans le cadre d’une précédente procédure de référé expertise qui équivaut à une demande.
Par ailleurs, pour que des opérations d’expertise soient opposables à une partie, tel qu’un sous-traitant, encore faut-il que celui-ci soit appelé à celle-ci.
Enfin, rappelons-nous qu’en vertu de l’article 2239 du Code civil, si la prescription est suspendue pendant la durée des opérations d’expertise, il n’en n’est pas de nécessairement de même en ce qui concerne la forclusion de deux ans en matière de garantie des vices cachés…
La Troisième Chambre semble ainsi s’aligner sur la jurisprudence de la Première Chambre et de la Chambre Commerciale en matière de garantie légale des vices cachés, laquelle n’est d’ailleurs pas ouverte au maître de l’ouvrage.
S’agissant d’une action récursoire en matière de garantie légale des vices cachés, la Première Chambre a jugé que le point de départ du bref délai pour agir était le jour de l’assignation dirigée contre le vendeur et non la date de la découverte du vice (Cass. Civ. I, 24 septembre 2002, 00-16040).
Toutefois, elle a estimé que Le point de départ du délai de la prescription extinctive prévu à l’article L. 110-4 du code de commerce court à compter de la vente initiale…l’action récursoire contre le fabricant ne pouvant offrir à l’acquéreur final plus de droits que ceux détenus par le vendeur intermédiaire : (Cass. Civ. I, 6 juin 2018, 17-17438)…
De son côté, pour la Chambre Commerciale, le délai dont dispose l’entrepreneur pour former un recours en garantie contre le fabricant en application de l’article 1648 du code civil court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui. (Cass. Com., 29 Juin 2022, 19-20647).
En tout état de cause, la décision de la Troisième Chambre apporte une pierre essentielle à la construction du régime des recours entre constructeurs.