Dans leurs rapports directs, l’action en garantie des vices cachés n’est pas ouverte au maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur.
En application de l’article 1648 du Code Civil, le délai dont dispose l’entrepreneur pour former un recours en garantie contre le fabricant en application de l’article 1648 du code civil court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui.
Cass. Com., 29 Juin 2022, 19-20647
L’action en garantie pour vice caché n’est pas ouverte au Maître de l’ouvrage
Il y a contrat d’entreprise dès lors qu’un produit est spécifiquement conçu pour répondre à des besoins particuliers exprimés par un client. A l’inverse, il y a contrat de vente lorsque le produit ne présente pas ces caractéristiques et qu’il est interchangeable ou substituable.
Ainsi, la Jurisprudence distingue bien le contrat d’entreprise, qui consiste à fournir une installation destinée à répondre aux besoins particuliers du client, et le contrat de vente dont l’objet est de fournir des choses «standard » dont les caractéristiques sont déterminées à l’avance.
Il a ainsi été jugé que :
- “le contrat par lequel une entreprise confie à une autre la conception et la réalisation d’un lot du marché de travaux dont elle est attributaire constitue non un contrat de vente mais un contrat d’entreprise, exclu du champ d’application de l’article 1648 du Code civil” : Cass. com., 07 novembre 2006, n° 05-11.694 – Cass. Civ. I, 04 Juillet 2000, 97-22570 – Cass. civ. III, 11 mai 2005, 03-13891
- Le contrat de vente a pour objet de fournir des choses “standard” dont les caractéristiques sont déterminées à l’avance : Cass. Com. 5 Décembre 2018, n° 17-24293) – Cass. com., 9 novembre 2004, 03-11036,
Le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; il dispose donc à cet effet contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ; que, dès lors, en relevant que la Société Commerciale de Matériaux pour la Protection et l’Isolation (M.P.I.) avait fabriqué et vendu sous le nom de “Protexulate” un produit non conforme à l’usage auquel il était destiné et qui était à l’origine des dommages a caractérisé un manquement contractuel dont le maître d’ouvrage peut se prévaloir pour lui demander directement réparation dans le délai de droit commun :Assemblée plénière, 7 février 1986, 84-15.189, Publié au bulletin
Toutefois, le vice caché, lequel se définit comme un défaut rendant la chose impropre à sa destination, ne donne pas ouverture à une action en responsabilité contractuelle mais à une garantie dont les modalités sont fixées par les articles 1641 et suivants du code civil (Cass. Com., 19 mars 2013, 11-26.566, Publié au bulletin).
Pour sa part, et dès lors que le Maître de l’ouvrage est lié à l’entrepreneur par un contrat d’entreprise, et non par un contrat de vente, la décision de la Chambre Commerciale du 29 Juin 2022 précise bien que dans leurs rapports directs, l’action en garantie des vices cachés n’est pas ouverte au maître de l’ouvrage contre l’entrepreneur.
En effet, il y a rupture de la chaîne contractuelle des contrats de vente successifs, et le Maître de l’ouvrage ne dispose donc pas de l’action en garantie qui se transmet avec la chose vendue, dans la mesure où “le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenaient à son auteur” : Civ. 1re, 6 février 2013, pourvoi n° 11-25.864
Or, la réalisation d’un ouvrage comprend le plus souvent l’incorporation de divers composants ou matériaux acquis auprès de divers fournisseurs.
On pourrait considérer qu’il peut exister deux contrats entre le Maître de l’Ouvrage et l’entrepreneur : d’une part, un contrat de vente de composants fournis par l’intermédiaire de ’entrepreneur, intervenant donc comme revendeur, et un contrat d’entreprise de pose, chacun de ces contrat obéissant à un régime de responsabilité spécifique.
Mais l’arrêt du 29 Juin 2022 estime que, dans cette hypothèse, il y avait uniquement un contrat d’entreprise, et non un contrat de vente.
Le problème est qu’en cas de défaillance de l’entrepreneur, le Maître d’ouvrage n’a pas de recours sur le fondement du contrat de vente à l’encontre du vendeur intermédiaire de matériaux défectueux.
Il pourrait être envisageable, pour le Maître de l’ouvrage d’invoquer à titre extra-contractuel, sur le fondement de l’article 1240 du Code Civil, la faute contractuelle commise par le vendeur à l’égard de l’entrepreneur, en vertu de l’arrêt Boot’Shop en rapportant la preuve d’une faute déterminée dans l’exécution de son contrat de vente. (Ass. plén., 6 oct. 2006, 05-13255 – Ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963)
Mais la preuve d’une telle faute pourrait être difficile à apporter, même si la fourniture d’un produit entaché d’un défaut de conformité ou d’un vice caché que le vendeur est censé connaître constitue une faute.
De façon plus “sûre” il serait préférable pour le Maître d’ouvrage d’invoquer à l’encontre du fabricant le régime de responsabilité du fait des produits défectueux des articles 1245 et suivants du Code Civil, qui abolit toute distinction entre responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle, à condition toutefois de rapporter la preuve d’un défaut de sécurité et de son lien de causalité avec le dommage.
Toutefois, ce régime a ses limites puisque il ne s’applique pas au coût du remplacement de la chose défectueuse elle-même.
La solution donnée par la Chambre Commerciale n’est donc pas absolument satisfaisante pour le Maître d’ouvrage qui ne dispose pas d’une action directe du Maître de l’ouvrage à l’encontre des fournisseurs de l’entrepreneur…
En ce qui concerne le recours de l’entrepreneur du fait des vices du matériau
Quoi qu’il en soit, les vices affectant des matériaux (fibro-ciment) “mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l’exonérer de la responsabilité qu’il encourt » à l’égard du Maître de l’ouvrage quel qu’en soit le fondement (Cass. Civ. III, 25 Mai 2022, 21-18218, publié au bulletin) ; bjda.fr 2022, n° 82, note C. Cerveau-Colliard ; RDC, Septembre 2022, note Louis Thiberge.
Dès lors, l’entrepreneur doit pouvoir disposer d’une action récursoire à l’encontre de son vendeur, notamment sur le fondement de la garantie des vices cachés des articles 1648 et suivants du Code Civil.
Jurisprudence de la Première Chambre de la Cour de Cassation :
S’agissant d’une action récursoire, la Première Chambre a jugé que le point de départ du bref délai pour agir était le jour de l’assignation dirigée contre le vendeur et non la date de la découverte du vice ; Cass. Civ. I, 24 septembre 2002, 00-16040.
Toutefois, elle a estimé que Le point de départ du délai de la prescription extinctive prévu à l’article L. 110-4 du code de commerce, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, court à compter de la vente initiale, intervenue le 18 mars 2008, de sorte que l’action fondée sur la garantie des vices cachés, engagée les 9 et 10 février 2016, était manifestement irrecevable, l’action récursoire contre le fabricant ne pouvant offrir à l’acquéreur final plus de droits que ceux détenus par le vendeur intermédiaire : (Cass. Civ. I, 6 juin 2018, 17-17438, Publié au bulletin).
Jurisprudence de la Troisième Chambre de la Cour de Cassation :
Le bref délai de l’action récursoire fondée sur la garantie des vices cachés, exercée par le vendeur intermédiaire ou l’entrepreneur à l’encontre de son fournisseur, ne court pas à compter du jour de la révélation du vice à l’acquéreur, mais de la date où l’intermédiaire ou l’entrepreneur est lui-même assigné ou, en l’absence d’assignation, à la date où le paiement d’une somme d’argent lui est réclamé (Cass. Civ. III, 2 juin 2016, 15-17.728).
Elle a estimé également que le point de départ du délai de prescription de l’article L. 110-4, I, du code de commerce auquel était soumise l’action contractuelle directe d’un Maître d’ouvrage contre un des fournisseurs de son entrepreneur, fondée sur la non-conformité de matériaux, doit être fixé à la date de leur livraison à cet entrepreneur : (Cass. Civ. III, 7 juin 2018, 17-10394, Publié au bulletin)
La Troisième Chambre de la Cour de Cassation a par ailleurs jugé que le délai dont dispose l’entrepreneur pour agir en garantie des vices cachés à l’encontre du fabricant en application de l’article 1648 du code civil court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui, le délai de l’article L. 110-4 du code de commerce étant suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage : (Cass. Civ III, 6 décembre 2018, n°17-24111).
Toutefois, “l‘entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d’avoir été lui même assigné par le Maître de l’ouvrage, le point de départ du délai de 2 ans qui lui est imparti par l’article 1648, al.1, du Code Civil doit être constitué par la date de sa propre assignation et le délai de l’article L 110-4 du Code de Commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage” : Cass. Civ. III, 16 février 2022, 20-19047, Publié au bulletin
Pour les ventes conclues après l’entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 Juin 2008, il est jugé que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices caché ne peut être assuré que par l’article 2232 du Code civil qui édicte un délai butoir de 20 ans à compter de la naissance du droit : (Cass. Civ. III, 8 décembre 2021, 20-21439, publié au Bulletin)
Voir :Cass. Civ. III, 25 mai 2022, 21-18218
Pour les ventes conclues antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que les vices affectant les matériaux ou les éléments d’équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l’exonérer de la responsabilité qu’il encourt à l’égard du maître de l’ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité et que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu’il a mis en oeuvre pour la réalisation de l’ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.
Il s’ensuit que, l’entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d’avoir été lui même assigné par le maître de l’ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l’article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l’article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié).
Pour les ventes conclues après l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut être assuré que par l’article 2232 du code civil qui édicte un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit.
En effet, l’article 2224 du code civil fixe le point de départ du délai de prescription au jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, ce qui annihile toute possibilité d’encadrement de l’action en garantie des vices cachés, le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie se confondant avec le point de départ du délai pour agir prévu par l’article 1648 du même code, à savoir la découverte du vice.
La loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription prévu par l’article L. 110-4, I, du code de commerce, sans préciser son point de départ, celui-ci ne peut que résulter du droit commun de l’article 2224 du code civil.
Il s’ensuit que le délai de cinq ans de l’article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut plus être regardé comme un délai butoir et que l’action en garantie des vices cachés doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter de la vente initiale.
Jurisprudence de la Chambre Commerciale :
La chambre commerciale de la Cour de cassation avait jugé que l’action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l’article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente initiale : (Cass. Com, 16 janvier 2019, n°17-21477).
La Chambre Commerciale avait même visé l’article 2224 pour faire courir le délai de prescription de L 110-4 à l’égard d’une facture à la date de l’exécution de la prestation correspondante… : Cass. Com., 26 février 2020, 18-25.036, Publié au bulletin
Dans son arrêt du 29 Juin 2022, la Chambre Commerciale revient donc sur sa Jurisprudence en estimant que le délai dont dispose l’entrepreneur pour former un recours en garantie contre le fabricant en application de l’article 1648 du code civil court à compter de la date de l’assignation délivrée contre luiet n’est donc pas enfermée dans le délai de 5 ans à compter de la vente.
Fondement du recours de l’entrepreneur sur le droit commun :
L’existence d’un travail spécifique destiné à répondre à des besoins particuliers, peut caractériser l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage.
Les personnes responsables de plein droit en application des articles 1792 et suivants du code civil, lesquelles ne sont pas subrogées après paiement dans le bénéfice de cette action réservée au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs de l’ouvrage en vertu des articles précités, ne peuvent agir en garantie contre les autres responsables tenus avec elles au même titre, que sur le fondement de la responsabilité de droit commun applicable dans leurs rapports (3e Civ., 8 juin 2011, pourvoi n° 09-69.894, Bull. 2011, III, n° 93).
Dès lors, l’entrepreneur qui a indemnisé le maître de l’ouvrage ne peut agir en garantie contre le fabricant que sur le fondement de la responsabilité de droit commun, à l’exclusion de l’article 1792-4 du code civil.
Cass. Civ. II, 7 juillet 2022, 21-10945