Avec son arrêt du 28 février 2018, la troisième chambre de la Cour de Cassation vient de fêter le quarantième anniversaire de la loi Spinetta en élargissant le champ de l’assurance décennale. (Pourvoi n°15-9652)
Elle retient qu’un fournisseur de ciment, dont le préposé avait été présent sur un chantier lors d’opération de coulage, avait donné au poseur des instructions techniques précises, notamment quant à l’inutilité de joints de fractionnement complémentaires, auxquelles le maçon, qui ne connaissait pas les caractéristiques du matériau sophistiqué fourni, s’était conformé.
Elle estime que le vendeur de ciment avait ainsi participé activement à la construction dont elle avait assumé la maîtrise d’œuvre, et qu’il n’était pas seulement intervenu comme fournisseur du matériau, mais en qualité de constructeur au sens de l’article 1792 du code civil.
Un tel élargissement de la responsabilité des constructeurs ne peut susciter, au premier abord, qu’un réflexe de panique pour les fournisseurs de matériaux ou d’équipements qui ne sont pas assurés pour leur responsabilité décennale…
En l’espèce, il est relevé que le fournisseur était présent sur le chantier, que le matériau fourni était “sophistiqué”, et que des instructions techniques précises avait été fournies au poseur quant à la mise en œuvre du produit.
De même, pour engager la responsabilité décennale d’un fournisseur de poêle, la Cour de Cassation reproche à une cour d’appel d’avoir estimé qu’il ne pouvait être considéré comme un constructeur d’ouvrage, d’autre part, qu’il n’était pas établi que le poêle litigieux puisse être considéré comme formant indissociablement corps avec un ouvrage de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert et de n’avoir pas recherché, comme il le lui était demandé, si l’insuffisance de chauffage par un poêle à bois ne rendait pas l’ensemble de la maison impropre à sa destination. (Cass. civ., III, 12 juillet 2018, 17-19371)
Rappelons que tout vendeur est tenu d’une obligation de conseil dans la préconisation de son produit, allant même jusqu’à l’obliger à se renseigner sur les besoins de son client. (Cass. Com., 1er décembre 1992, 90-18238 – Cass. Civ. I, 30 Mai 2006, 03-14.275 – Cass. Civ. I, 28 Juin 2012, 12-17860)
Elle s’accompagne, bien évidemment, d’une obligation d’information précise sur les caractéristiques de la chose vendue, et les conditions de sa mise en oeuvre, obligation qui s’apprécie en fonction de complexité du produit et du degré de compétence de l’acheteur, notamment en cas de nouveauté. (Cass. civ. I, 5 décembre 1995, 94-12376)
On aurait donc pu concevoir que l’acheteur final recherche la responsabilité de vendeur du fournisseur sur ce fondement, ce qui aurait éventuellement permis la prise en charge du sinistre par son assureur de Responsabilité Civile après livraison.
Mais il est vrai que cette dernière garantie de responsabilité civile exclut en principe les travaux de bâtiment, ainsi que le produit livré, de sorte que pouvait également se poser un problème d’assurance.
Cet élargissement du champ de l’assurance décennale, s’inscrit dans un courant de jurisprudentiel :
C’est ainsi que tous les dommages, de la gravité requise par l’article 1792 du Code civil, relèvent de la responsabilité décennale, qu’ils affectent les éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, dès lors qu’ils rendent l’ouvrage en son ensemble impropre à sa destination. (Cass. Civ. III, 26 octobre 2017, 16-15665 ; RGDA Avril 2018, note P.Dessuet)
Les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la garantie décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. (Cass. Civ. III, 26 octobre 2017, 16-18120 ; RGDA Novembre 2017, note P.Dessuet)
De plus, on assiste à une tendance à l’extension du champ de l’activité garantie (Serrurerie mise en œuvre pour la construction d’une salle blanche : Cass. Civ. III, 7 Juin 2018, 17-16050 ; RGDA 2018, 410, note L.Karila)
Au moment où l’assurance construction souffre d’un manque de capacités, et de la défaillance de plusieurs assureurs ayant exercé en Libre Prestation de Service une telle extension du champ des garanties obligatoires ne peut que poser des problèmes de couverture aux professionnels et à leurs clients, même si ces derniers peuvent désormais prétendre à l’intervention du FGAO pour les chantiers assurés en DO à compter du 1er Juillet 2018.